Gérard Depralon n'est pas tout à fait un voyageur comme les autres. Il parcourt des chemins improbables, seulement armé de son crayon. Il est quelqu'un qui « décortique » le paysage. Il fait penser à ces pêcheurs en bord de rivière, jetant leur bouchon au fil de l'eau, le laissant dériver, puis le ramenant à eux pour mieux le lancer plus loin... Il y a dans cette saine volonté de voir, de mieux voir, une vraie curiosité. Et voici donc notre « pêcheur de paysage » parti à la découverte des lieux d'hébergement du Pays de Nohant, s'y installer et ouvrir, comme tout préalable, les fenêtres sur les mondes environnants. Il affûte alors son regard et projette sur le papier ses traits fins, toujours précis, ses aplats sensibles et délicats, et reconstitue une succession de petits décors de théâtre, ceux que lui inspire chacune des chambres visitées. Les lignes s'élaborent, se précisent et se croisent, celles des toits, des cheminées, des appentis, des volets, des bordures de massifs, à peines déréglées par le fouillis agréable des ramures d'arbres encore dénudés par l'hiver récent, des haies ou des carrés d'herbe. Cette perception de ce que l'être humain organise, parfois maladroitement, à partir d'une base naturelle, en dit long sur ce dialogue sensible entre paysages libres et paysages contraints. George Sand avait compris, bien avant tout le monde, que, si l'homme façonne le paysage à son image, le paysage, lui, influe certainement sur son caractère.
Les planches dessinées et réalisées par Gérard Depralon ne sont donc pas simplement une reproduction passive des paysages mais la volonté de montrer au-delà d'eux, celles et ceux qui en sont, parfois innocemment, les auteurs. Et voilà pourquoi ce travail artistique me renvoie vers le décor de théâtre. Certes, on le constatera, les personnages de la pièce ne sont pas là. Mais chaque détail, habilement rapporté par l'auteur, nous permet de les imaginer pleinement. La vie est loin d'être absente de cette représentation. Encore moins quand notre « défricheur » de sensations nous entrouvre sa porte. Là, nous découvrons l'intimité de l'intérieur : un oreiller encore écrasé du poids du sommeil, une lampe chaudemeni allumée au dessus d'une table, un pull négligemment jeté sur le dossier d'un fauteuil. Les extérieurs ne sont pas en reste. Il suffit d'observer un volet à peine ouvert, trois chaises dans un jardin invitant le visiteur à s'assoir, un carré d'herbe incitant à la paresse. Le lecteur de ce bel ouvrage ne se trouvera donc pas devant la fausse et prétentieuse objectivité des dépliants touristiques, et c'est tant mieux ! Il est au contraire invité à saisir une objectivité sensible, celle, irremplaçable de l'artiste, qui nous entraîne à découvrir généreusement ses découvertes et ses ressentis. Il y a beaucoup de douceur dans cette représentation sublimée du réel par le dessin : la naïveté positive d'une enfance trop vite perdue, une complicité à transmettre un bien-être généreux et simple, la délimitation par les traits de la beauté de l'âme humaine. Aucune provocation gratuite, pourtant. Aucun jugement hâtif et malveillant, aucune condescendance inutile, seulement l'offrande sincère de ces décors intérieurs ou ceux aperçus furtivement par les fenêtres. Une façon de nous aider à regarder, autour de nous, ce qui nous entoure et qu'on ne voit plus. Ce qu'il y a de plus simple : ces « espaces arrangés » pour les rendre plus agréables, comme si celles et ceux qui en sont responsables avaient souhaité les « habiller en
dimanche » pour qu'ils soient au mieux de leur représentation. Pour parfaire cette restitution, des textes, eux-aussi tracés à la pointe du crayon, complètent à merveille l'ensemble. Ils disent, à leur manière, la perception des espaces, des objets, des atmosphères sonores avec une évidente poésie, comme l'évocation de « ces quelques arbres fruitiers qui prêtent leurs branches nues aux oiseaux trapézistes... » Soyez, le temps de la découverte de ce bel album, ces « oiseaux trapézistes » qui acceptent de suivre Gérard Depralon dans son invitation à voir intimement ce qui habituellement ne se voit plus... C'est le plus grand bien que je peux vous souhaiter !