LA MAIN DU DESSIN - Je savais peu de chose de Gérard Depralon et pas plus du domaine Deleuze-Rochetin. Ni la voix, ni l’allure de l’un. Ni les vignes, ni les vins de l’autre. Mais quelques mots et quelques dessins plus tard, il me semble les connaître depuis toujours. Ils sont entrés dans mon paysage intérieur, grâce à une main qui m’a pris à la première ligne et m’a guidé, page à page, tout au long du voyage. Ce n’est pas une main brutale qui attrape le poignet pour le tordre dans la bonne direction à coup de formules et de Photoshop. Elle est légère mais précise, presque invisible, si elle ne laissait derrière elle des traits et des lettres. Point de bague au doigt. Ni colifchets, ni vernis de toutes les couleurs. Une main en noir et blanc, qui d’un geste large dévoile la perspective des coteaux de Terre Rouge ou de Saint Quentin la Poterie, écarte les taillis de Bois Valat, range les ceps de la Moussaguette et pointe, au bout de son crayon, la tour Fenestrelle d’Uzès. On la sent plus proche de la terre que du manucure, habile à caresser la D136 entre Aubussargues et Serviers dans le sens de la descente et la vallée de l’Eure dans celui du courant. Cette main-là compte les pierres de la rue Saint Théodorit comme les arcades de la Place aux Herbes ou les fûts dans la cave de vieillissement. Elle est d’une patience infnie, revenant sans cesse sur le marché de la cité ducale pour y dresser les étals et remonter le col des chalands sous les arbres nus. Parfois elle s’attarde, malicieuse, pour nous emporter en décapotable dans la rue principale d’Arpaillargues ou nous offrir le Gardon en contemplation. C’est une main cultivée comme le vignoble qu’elle parcourt, aimant feuilleter les histoires de famille et les écrire sans effets de manche, même si le barreau n’est pas loin du Domaine. Elle plaide, avec une rigueur que l’on devine amoureuse,pour l’inscription éternelle de la vigne dans cette nature où, si l’on regarde bien, on entend chanter le criquet. Au creux de cette main coule le jus de la treille en verre ou en barrique. Chaleureuse et partageuse, elle nous explique que de la cave à la galerie d’art, se poursuit une même histoire sous les auspices de Priape, fils de Bacchus. Celle d’un duché, celle d’un terroir, celle d’une famille dont le vin est le destin. Telle est la main de Gérard Depralon, auteur de ce reportage « au bout des doigts », dessiné avec la précision du microscope et le souci permanent de la vérité. Un récit de première main.